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Une longue histoire entre la caserne Gudin, la ville et la vie de Montargis

En avril 1814, le 1er régiment impérial de chasseurs, venant faire ses adieux à Napoléon 1er bivouaque sur ce qui sera le futur emplacement de la caserne Gudin. 

Dès 1820, la réflexion concernant l’établissement d’une caserne sur le site d’une ancienne raffinerie est évoquée au Conseil municipal de Montargis, la décision est ajournée régulièrement, l’investissement reposant sur le budget de la commune. 

La défaite militaire de la guerre de 1870 ayant mis en évidence le manque de préparation de l’armée, l’État a sollicité de nombreuses villes pour implanter des casernes dont celle de Montargis. 

L’État s’est engagé à y affecter un régiment de 3000 soldats, d’où les trois bâtiments principaux de la place d’armes, chacun en accueillant 1000. Cela représente un accroissement de 30% de la population locale.

La commune s’endette pour  subventionner la construction. En contrepartie elle prélève l’octroi sur tous les matériaux de construction et ensuite sur un grand volume de denrées et de marchandises indispensables aux 3000 soldats. Le poste de l’octroi était situé près de l’enceinte militaire. La commune n’aurait pas perdu au change du moins jusqu’à la suppression de cette contribution vers 1943.

La caserne Gudin – début du XXème siècle

Les travaux démarrent vers 1872 / 1874, un premier régiment celui du 89e de Ligne arrive de suite et est logé temporairement dans des maisons réquisitionnées et louées par la ville. En 1876, à la fin des travaux, le 89e s’installe. « L’horloge,  gardienne du temps, domine la place d’arme, l’édifice qui la porte en donne la mesure, témoin en mouvement du lever des couleurs et des rassemblements  militaires ». 

L’armée réclame la distribution d’eau gratuite. La ville met en place un réseau d’eau potable vers 1886 et accède à la demande de l’armée en installant sur la place d’armes une borne fontaine à débit faible, de quoi remplir tranquillement un verre !

La caserne porte d’abord le nom de Courtil puis est renommée Gudin, sans prénom, en hommage à toute la longue lignée de militaires de la famille Gudin. Le plus célèbre, le général Charles – Etienne Gudin est né à Montargis le 13 février 1768 et mort à Smolensk en août 1812 pendant la campagne de Russie. Une plaque est apposée en son honneur sur la maison où il est né. Depuis 2019, il refait parler de lui, sa dépouille retrouvée et authentifiée retrouvera certainement le chemin vers la France et peut-être celui des Invalides. 

La maison natale du général Gudin, datée de 1631 –  7, rue Gudin, à Montargis.
Plaque inaugurée par l’ACMN, délégation du Loiret, le 4 octobre 1987.

Puis du 20 janvier 1887 au 31 décembre 1919 le régiment du 82e d’infanterie occupe la place. 

Depuis le début, les toilettes installées à l’extérieur dans des baraquements en bois se déversent dans le Puiseaux, comme toutes les ordures ménagères. Le ruisseau pue sur 500 mètres et s’envase petit à petit. La ville est obligée d’en assurer le curage sur plusieurs centaines de mètres, jusqu’au centre-ville.

Des soldats font leur lessive dans le canal de Briare. Un pavillon est créé dans l’hôpital de la ville pour soigner les militaires. 

La caserne Gudin – début du XXème siècle un jour de fête

Pendant plus d’un siècle, jusque dans les années 1990,  les régiments sont très imbriqués dans la vie économique, sociale et culturelle de Montargis. L’armée offre un concert dominical, des airs d’opéra. A cet effet, la municipalité a choisi dans le catalogue de Manufrance (créée en 1885) un  kiosque à musique parmi 5 à 6 modèles. Il est toujours en bonne place au Pâtis.

Le kiosque du Pâtis – Montargis, au début du XXème siècle

Jusqu’en 1914 le coût de grandes manœuvres militaires est à la charge des Montargois, qui hébergent et nourrissent les soldats venus d’autres lieux. Les plus aisés doivent héberger 2 officiers pour quelques jours, ou prennent une réservation à l’hôtel à leur frais.

Montargis – rentrée à la caserne Gudin au début du XXème siècle

L’ordre de mobilisation générale est donné en France et en Allemagne le 1er août 1914. Le 82e R.I. s’y  mobilise avec le 282eR.I. et le 38e TERial.  Les hommes sont habillés, équipés, armés en trois jours. 3.155 hommes, encadrés de 47 officiers, quittent Montargis le 6 août, par train, en traversant toute la ville. Le 1er Mort pour la France du 82e est un caporal, Marcel Pourcillot, déclaré Mort Pour la France le 10/08/1914, tué à l’ennemi. Le 82e s’est particulièrement illustré dans les combats de la butte de Vauquois. Entre les morts, les blessés et les prisonniers, il est presque décimé. Les monuments aux Morts des communes de l’agglomération en témoignent.

Plaque sise à la caserne Gudin, inaugurée le 14 mai 1958

7 écoles sont transformées en hôpitaux militaires, celle de Durzy en caserne auxiliaire, celle de Saint Agnès en infirmerie. 500 à 600 lits y sont déployés. 

Le régiment revient début 1919, une grande fête est organisée, un arc de triomphe en stuc dressé sur un pont. Un film d’époque retrace ce moment. Les soldats non mariés ne sont pas démobilisés de suite, dans l’espoir ou la crainte d’un nouveau conflit. Ils manifestent en nombre à la gare et obtiennent enfin la démobilisation quelques mois après leur retour.  

De 1923 à 1935 des lois successives font passer la durée du service militaire obligatoire qui est alors de 3 ans, à 18 mois en 1923, puis à 12 en 1928. L’effectif est réduit au tiers ce qui entraine la fermeture partielle ou temporaire de casernes dont celle de Montargis. Un effectif restreint en assure l’entretien.  En 1935, une nouvelle loi rallonge la durée du service à 2 ans.  

Vers 1937, la caserne reprend du service avec l’arrivée du 38e régiment du génie (sapeurs-télégraphistes) jusqu’à la mobilisation de 1939, où elle devient un centre mobilisateur pour son territoire. Vient rapidement la démobilisation. 

En juin 1940, les premiers blindés entrent dans la ville de Montargis. Les Allemands organisent à Gudin un camp de rétention avancée pour les prisonniers de guerre, sous le nom de Frontstalag 151. Les prisonniers sont transférés outre-Rhin à l’automne 1940 ou au début de 1941.Un certain « Karl » a laissé un excellent souvenir en permettant à quelques prisonniers de se cacher avant le départ des trains pour l’Allemagne. Le chiffre de 8000 à 11000 prisonniers est parfois avancé mais difficile à vérifier, les soldats allemands occupaient déjà pour leur part un des  grands bâtiments sur les trois.

De 1943 à 1944, la vaste enceinte militaire est réquisitionnée pour servir de centre d’instruction des cadres de la Légion des volontaires français (LVF) contre le bolchevisme. Ce régiment regroupe des Français destinés à combattre aux côtés des nazis sur le front de l’Est. Gudin fut quasiment le seul centre de formation de ces officiers en France. Plusieurs centaines d’élèves-officiers rallient  Gudin à partir de juillet 1943, après un examen médical à Versailles, centre de recrutement de la LVF. Un peu plus d’un an après la création du centre, les soldats de la LVF sont versés dans les Waffen SS, au sein notamment de la Division Charlemagne, qui regroupait les soldats français combattant sous l’uniforme nazi.

Durant l’occupation, les autorités allemandes organisent de nombreux défilés en ville pour montrer la puissance omniprésente de la Wehrmacht.

Il a fallu attendre cette occupation de triste mémoire et les Allemands pour que la caserne soit enfin équipée de sanitaires, installés dans des petites extensions toute hauteur construites derrière les bâtiments. Un hôpital militaire allemand est aménagé dans les lieux.

Des inscriptions allemandes sont encore visible dans les sous-sols de bâtiments
dont celui derrière celui de l’horloge …

Les traces de l’occupation allemande seront visibles jusque dans les années 1960. A l’annonce de la visite d’un général, tout le régiment s’est transformé en peintre en bâtiment, 15 jours durant. Par bonheur pour les prochains soldats, la visite n’a été décommandée que la veille. Toutefois quelques inscriptions allemandes subsistent encore dans les caves.  

Avec la Libération qui intervient le 23 août 1944, Montargis retrouve sa caserne. L’État-Major de l’Armée crée une école unique pour former aux transmissions des spécialistes toutes armes confondues. Le Centre d’Organisation des Transmissions N°40 s’installe au quartier Gudin et donne naissance à l’Ecole Militaire et d’Application des Transmissions (E.M.A.T.) le 1er janvier 1945. 

La caserne Gudin – Années 60

La présence de l’École d’Application des Transmissions représente au moins mille personnes dont 350 militaires et 400 stagiaires. Ces derniers logent en ville les quelques 2 ou 3 mois de leur stage, parmi eux des militaires étrangers de tous les pays ayant acquis de l’armement français. Les drapeaux des nationalités présentes sont levés sur la place d’armes, parfois jusqu’à 30 drapeaux différents. L’occasion pour les Montargois d’apercevoir aussi des élèves de Polytechnique. 

Les liens avec Gudin sont encore très présents chez les Montargois en 2020. Ils ont entendu parler ou se rappellent du bal annuel du Général à la salle des fêtes de la ville, des deux défilés du 14 juillet et du 11 novembre au Pâtis, des réceptions du 11 novembre, de celle donnée à chaque changement de chef de garnison, des conférences et plus tard de l’élection des Miss Montargis et Loiret organisées à la salle des fêtes (appelée aussi auditorium) de la caserne. Ils se souviennent du magnifique escalier du bâtiment de l’horloge.

S’adaptant aux spécificités des différents régiments, la place d’armes n’a pas toujours eu l’aspect qu’elle a aujourd’hui. Le double alignement de platanes s’est peu à peu délité. La vaste  esplanade  dédiée  au rassemblement du R.I. voit, après-guerre, l’aménagement d’un jardin ornemental en son cœur puis aussi d’une fontaine.

Le 1er septembre 1994, trois écoles sont regroupées sur le site de Cesson-Sévigné, près de Rennes et donnent naissance à l’unique école des transmissions, l’Ecole Supérieure et d’Application des Transmissions (ESAT). Gudin est alors transformée en Ecole Annexe des Transmissions le 1er septembre 1994 et ses stages sont progressivement transférés à l’ESAT. L’EAT est dissoute le 31 juillet 1995. 

De suite, l’école de gendarmerie s’installe à Gudin. Elle forme des gendarmes auxiliaires jusqu’au 24 juin 2009, un ultime chant salue la dernière promotion, 109 gendarmes, 79  hommes et 30 femmes. 

La caserne reste inoccupée de 2009 à 2020. Le 23 novembre 2018 l’Etat vend le site militaire de Gudin à l’agglomération montargoise. 

La caserne est unanimement reconnue comme un élément essentiel du patrimoine montargois, certains la voient comme « le petit Versailles » de Montargis. Un patrimoine qui n’est pas que de pierres et de briques, il est indiscutable que le devenir du quartier Gudin nous interpelle. Des troupes ont défilé sur cette place d’armes et en ville, les soldats y ont marché au pas, ont été meurtris en défendant  leur pays. « Ce qui distingue ce site d’une simple opportunité  foncière c’est précisément  des espaces publics et une architecture signifiante,  engendrés par une posture, celle des militaires qui en se rassemblant donnent lieu, forme et limite à la place d’armes. Il nous semble que faire le choix de la démolition du bâtiment de l’horloge, qui est la clé de voûte de la composition, c’est renoncer au génie du lieu ». 

La caserne Gudin de nos jours

Ce texte a été rédigé grâce aux informations de nombreux contributeurs dont les principaux : 

  • Jean Fournier
  • Le musée des transmissions de Rennes
  • CCTP étude caserne Gudin pour le concours d’architectes
  • Rendu du cabinet d’architecture Cambium
  • Jacques Bourgon président de l’association des Amis du Vieux Montargis et du Gâtinais
  • Historique du 38e régiment territorial d’infanterie – campagne 1914/1918 – librairie Chapelot
  • Article de la République du Centre du 29/02/2020 sur la LVF 
  • L’année 1940 dans le Loiret – académie d’Orléans – Tours sur les Frontstalag
  • Article de France Bleu du 23/11/2018
  • Article du Point N° 2437 du 16/05/2019 sur la dépouille du Général Gudin
  • Blog de Laurent Provost sur le 1er mort pour la France du 82e R.I.
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