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Mediapart : l’enquête sur le conflit d’intérêt de la préfète dans le dossier de la caserne Gudin

L’enquête de Médiapart publiée ce 31 janvier 2022 a fait bougé les choses…
Vous trouverez à la suite de l’article les réactions des médias que nous avons recensés.

Article de Médiapart :

Reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur, tous droits réservés
source : https://www.mediapart.fr/journal/france/310122/l-incroyable-conflit-d-interets-de-la-prefete-de-la-region-centre


Débauchée chez le promoteur Nexity par Emmanuel Macron en mars 2021, la préfète de la région Centre a promis qu’elle ne se mêlerait pas des sujets liés à son ancien employeur. Un mail que nous avons consulté montre pourtant que Régine Engström a soutenu un projet immobilier de Nexity à Montargis contre la position des services de l’État. Stéphane Bern, mobilisé sur le sujet, dit son indignation à Mediapart.

La nouvelle préfète de la région Centre-Val de Loire Régine Engström a, sous couvert de faciliter la position d’élus locaux, soutenu son ancien employeur, le promoteur Nexity, contre la position de services de l’État dans un projet immobilier controversé à Montargis (Loiret), selon des informations Mediapart.

Le projet en question prévoit la destruction d’une partie de la caserne Gudin, bâtie au XIX
siècle et sous le régime de l’instance de classement aux monuments historiques, pour y construire une résidence seniors haut de gamme. Alarmés, des défenseurs du patrimoine locaux et nationaux ont sollicité une protection au titre des monuments historiques.

Ces derniers souhaitent un aménagement conservant la structure existante de l’édifice, composée d’un bâtiment central, dit de l’horloge, et deux ailes latérales, autour d’une place d’armes, au milieu d’un terrain de 5,6 hectares situé à deux pas du centre-ville de Montargis.

La préfète de région, dont la nomination par Emmanuel Macron en mars 2021 en provenance du secteur privé avait étonné, a publiquement déclaré qu’elle s’était déportée du dossier pour éviter tout conflit d’intérêts avec Nexity, dont elle était la responsable des partenariats stratégiques et de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises), siégeant au comité exécutif du groupe, avant de prendre ses fonctions préfectorales.

Régine Engström en mai 2021, dans une interview pour l’agence de l’eau Loire-Bretagne.
© Capture d’écran YouTube



Mais, des éléments réunis par Mediapart prouvent l’implication directe de Régine Engström dans le dossier. Le 4 octobre 2021, la préfète a ainsi personnellement décidé d’écrire à des membres du cabinet de la ministre de la culture Roselyne Bachelot pourcontester les arguments des opposants à la destruction de la caserne, selon une copie du courriel que nous avons pu consulter.

Sollicitée par Mediapart, Régine Engström a relativisé cette intervention en expliquant, par le biais du service de communication de la préfecture, que son mail faisait partie de
«remontées d’information des services de l’État vers les cabinets ministériels ».
« Expliquer un contexte local est une obligation et ne peut être assimilé à une prise de position »
, a ajouté la préfecture, sans mentionner le fait que Régine Engström était à l’origine de l’envoi de ce mail, à la veille d’un rendez-vous important de la ministre sur le sujet. Dans le courriel, la préfète met clairement en avant les arguments d’élus locaux, alliés de Nexity, contre les opposants au projet.

Pourtant, environ trois mois avant l’envoi de ce message, la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA), instance experte indépendante placée auprès de la préfète de région, avait sollicité, le 29 juin 2021, la protection de la caserne Gudin, au grand dam des porteurs du projet immobilier.

Composée de 27 membres (fonctionnaires, élus et personnes qualifiées), la CRPA avait, à la quasi-unanimité, émis un avis favorable à l’inscription de l’édifice au titre des monuments historiques, rappelant qu’il constitue un « ensemble historique parfaitement conservé et cohérent ».
Cette position rejoint celle de la conservation régionale des monuments historiques (CRMH) et de l’architecte des bâtiments de France (ABF), soucieux de préserver un ensemble construit en 1874 qui constitue aujourd’hui un des derniers exemples intègres des casernes bâties au lendemain de la défaite de 1870.

Portant le nom d’une illustre famille locale, qui a donné plusieurs généraux dont le général d’Empire Charles–Étienne Gudin, mort pendant la campagne de Russie (et dont le corps vient d’être ramené aux Invalides), la caserne a pendant des décennies formé un pôle d’attractivité économique pour la sous-préfecture du Loiret, en accueillant des régiments d’infanterie (3 000 soldats), puis une école d’application des transmissions de l’armée de terre et, enfin, une école de gendarmerie jusqu’en 2009.Pendant l’Occupation, la caserne fut aussi convertie en camp de prisonniers et centre de formation des cadres de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme(LVF), rattachés à la Waffen SS.

Lors de la CRPA du 29 juin 2021, la secrétaire générale pour les affaires régionales(SGAR), Florence Gouache, s’est exprimée contre le classement de l’édifice, en considérant que la
« ville doit se reconstruire sur elle-même »
. Au cours des échanges, la SGAR, qui présidait la commission, a spécifié qu’elle représentait la préfète de région, selon le procès-verbal définitif, consulté par Mediapart.

Questionnée pour savoir si sa position avait été défi nie avec Régine Engström en amont de la réunion, ce qui serait contraire aux règles de déport, la secrétaire générale aux affaires régionales Florence Gouache, magistrate de formation, n’a pas répondu. Le service de communication de la préfecture a toutefois précisé que la SGAR, comme le secrétaire général de la préfecture, ont « une liberté d’appréciation sur ce dossier, la préfète s’interdisant de leur donner toute orientation ou consigne quant à son instruction. »

Alors que Nexity et des élus locaux ont intensifié leur campagne de lobbying auprès des pouvoirs publics, le dossier n’avance plus depuis l’été 2021.

Dans le prolongement de l’avis rendu par la commission régionale, le directeur général des patrimoines et de l’architecture au ministère de la culture, Jean-François Hébert, a notifié, le 21 juillet 2021, à Jean-Paul Billault, président de l’agglomération de Montargis, le placement du bien sous le régime de l’instance de classement au titre des monuments historiques.

Cette décision ministérielle a été prise dans un contexte sensible Rue de Valois :quelques semaines plus tôt, un autre édifice, la caserne Miribel de Verdun, vestige de la guerre 1914-1918, a été rasé pour laisser place à un programme immobilier, ce qui a suscité des incompréhensions. En effet, la ministre Roselyne Bachelot ne s’y est pas opposée, alors même que la sous-directrice de l’architecture au ministère, Corinne Langlois, avait expliqué, le 6 juillet 2021, qu’il était désormais préférable de « recycler le cadre bâti », plutôt que de démolir pour reconstruire, comme l’a raconté Le Canard enchaîné.

Dans le dossier de Montargis, l’instance de classement, mesure prise en urgence enraison de la menace imminente pesant sur la caserne, empêche sa destructionpendant une durée d’un an, dans l’attente que la préfecture de région puisse inscrire,par arrêté, la caserne au titre des monuments historiques.

Mais, alors que Nexity et des élus locaux ont intensifi é leur campagne de lobbyingauprès des pouvoirs publics, le dossier n’avance plus depuis l’été 2021. La préfecture n’apas, à ce jour, signé l’arrêté d’inscription de l’édifi ce et le ministère de la culturesemble temporiser à la veille des prochaines échéances électorales nationales.

Dans les circonstances actuelles, si la signature n’intervient pas dans les prochains mois, il suffi t au promoteur d’attendre la fin de l’instance d’un an prise par le ministère, qui ne pourra pas être renouvelée après juillet 2022, pour pouvoir engager les travaux en démolissant la caserne.

En 2019, un concours d’architecte planche sur des projets d’aménagement conservant la caserne.




« On voit bien la tentation de jouer la montre, c’est sûr », reconnaît auprès de Mediapart le cabinet de la ministre de la culture Roselyne Bachelot. Mais les services du ministère travailleraient à la recherche d’une
« solution à l’amiable ». « Notre idée est de privilégier le dialogue avec les parties prenantes, la communauté d’agglomération et le promoteur, pour voir s’il n’y a pas une voie de passage pour que leur projet se réalise, tout en évitant un certain nombre de destructions » , explicite l’entourage de Roselyne Bachelot.

Dans cette guerre de positions feutrée, chacun avance ses cartes en sous-main. Pour tenter de convaincre Roselyne Bachelot du faible intérêt patrimonial de conserver la caserne Gudin, le député Les Républicains (LR) du Loiret Jean-Pierre Door, farouche défenseur du projet de Nexity, a été reçu le 5 octobre 2021 par la ministre, comme l’a révélé La Tribune de l’art.

Le député n’a pas eu grand mal à obtenir un rendez-vous puisqu’il connaît RoselyneBachelot de longue date. Cardiologue de profession, Jean-Pierre Door était mêmequalifi é, en 2010, de « VRP » à l’Assemblée de la réforme de l’hôpital portée parl’ancienne ministre de la santé de Nicolas Sarkozy (2010-2012).
« J’ai personnellementpris ce rendez-vous avec madame la ministre que je connais depuis vingt ans ! »
,confirme Jean-Pierre Door à Mediapart.


Quand on a eu ce message de la préfète, on n’était pas conscients qu’il y avait un sujet de conflit d’intérêts.

Entourage de Roselyne Bachelot

Malgré cette proximité, Régine Engström a toutefois cru bon de préparer le terrainauprès de la ministre, le 4 octobre 2021, à la veille de son rendez-vous avec le député.Dans un long mail dédié à l’avenir de la caserne Gudin et adressé à plusieurs membresdu cabinet de Roselyne Bachelot, la préfète déroule les arguments favorables à ladestruction de l’édifi ce, critiquant par la même occasion le groupe local s’étantorganisé pour contester le programme de Nexity.

Dans son courriel, la préfète réduit aussi la décision de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) du 29 juin 2021, bien que votée à la quasi-unanimité, en expliquant qu’elle est
« issue uniquement de la mobilisation associative […] que l’opposition municipale a su mobiliser »
. Le vote de cette commission comme l’instance prise ensuite par le ministère
« ont été très durement ressentis par les élus du Loiret », ajoute-t-elle. Avant de conclure sur le fait que « les élus locaux considèrent être victimes dans cette affaire d’un État qui se déjuge ».

Le message de la préfète n’a pas manqué de surprendre, tant en raison de son contenu – la position développée par Régine Engström diverge de l’appréciation des services de l’État – que de la forme du message – la représentante de l’État n’y dit rien de ses fonctions antérieures chez Nexity.

« Quand on a eu ce message de la préfète, on a regardé, on n’était pas conscients à ce moment-là qu’il y avait un sujet de conflit d’intérêts » , indique l’entourage de RoselyneBachelot à Mediapart. Et d’ajouter :
« Est-ce que son avis était influencé par ses fonctions passées ? On ne peut pas porter de jugement là-dessus. » Quoi qu’il en soit,après que les liens passés entre Régine Engström et Nexity sont remontés aux oreilles du ministère, le « cordon ombilical a été coupé entre la préfète de région et ce dossier »
, ajoute-t-on au cabinet de Mme Bachelot.


La préfète m’a tout de suite appelé pour me rassurer : “Ne vous inquiétez pas, je me suis déportée de ce dossier.”

Stéphane Bern, auprès de Mediapart

À Montargis, le passé de la préfète chez Nexity a longtemps nourri des interrogations chez les opposants au projet. Elles ont même poussé, le 21 octobre 2021, l’animateur télé Stéphane Bern, impliqué dans la défense du patrimoine, à s’emparer publiquement de l’affaire et à lui donner un écho médiatique certain.

« J’espère que la préfète est plus motivée par la défense du patrimoine que par les intérêts d’une entreprise privée », a lâché ce jour-là, au micro de France Bleu-Orléans, celui qui avait été chargé par Emmanuel Macron d’identifier les ressources méconnues du patrimoine français au début du quinquennat. Stéphane Bern a ensuite développé son propos, précisant qu’il ne s’agit « pas [d’] une accusation » : « C’est simplement une mise en garde. Je veux croire que pour le moment, il n’y a pas eu de pot-de-vin, pas de dessous de table. Cette question est brûlante, et j’en fais un symbole important de ladéfense du patrimoine. »


À la fin de cette interview, « la préfète m’a tout de suite appelé pour me rassurer : “Ne vous inquiétez pas, je me suis déportée de ce dossier” » , raconte aujourd’hui l’animateur auprès de Mediapart, stupéfait d’apprendre que Régine Engström s’est en réalité impliquée dans l’affaire.

D’autant que la représentante de l’État avait également assuré publiquement avoirpris toutes ses dispositions pour ne pas interagir avec les intérêts de Nexity. « Dès que je suis arrivée dans le Loiret, on m’a alertée : d’entrée de jeu [en mars 2021], j’ai dit que j’allais me déporter. Tout simplement parce que c’est la procédure normale : quand un fonctionnaire va travailler dans le privé, quand il revient et qu’un dossier concerne l’entreprise dans laquelle il travaillait, il se déporte » , a-t-elle déclaré le 3 novembre à La République du Centre.

L’agglomération dépense 180 000 euros pour un concours d’architectes au moment même où elle vend à Nexity.

La position des collectivités territoriales dans le projet Nexity nourrit également les interrogations. Après des années de négociations, la communauté d’agglomération de Montargis a racheté, début 2019, à l’État, pour 750 000 euros, la caserne, restée vacante depuis le départ de l’école de gendarmerie en 2009.

Quelques mois plus tard, la collectivité lance un concours avec trois architectes pour180 000 euros (60 000 euros par cabinet) dans le but de définir un projet d’aménagement. La démarche revêt une dimension politique et électoraliste importante : à la veille des élections municipales, les élus organisent en octobre 2019 une présentation publique des plans d’architectes
dans les locaux de la médiathèque de Montargis.

Le cahier des charges est alors clair : il faut préserver la caserne.
« Tous [les projets] proposent de conserver les bâtiments existants, autour de la place d’armes, parfois en leur ajoutant une extension, parfois en imaginant un nouveau bâtiment à l’entrée du site, mais tous veulent conserver ce patrimoine » , se réjouit ainsi Laurent Rougeron,directeur général des services techniques de l’agglomération montargoise sur FranceBleu-Orléans. Le fonctionnaire indique alors :
« Nous allons nous appuyer sur ces propositions pour mettre au point notre programme d’aménagement, qui devrait être prêt fin 2020. »

Des élus aux manettes laissent également entendre, parfois dans des termes ambigus, qu’ils ne souhaitent pas la destruction de l’édifice. Le 23 mai 2019, le conseil d’agglomération vote pourtant la cession du bien à Nexity, alors même que le concours d’architectes a été lancé en parallèle.
« L’architecte des bâtiments des France a trouvé très positif que l’on conserve l’esprit du casernement donc on a une phase très positive » ,insiste, au cours des débats précédant le vote, le maire de Montargis, Benoît Digeon(LR). Ce qui n’empêche pas l’édile d’être aujourd’hui favorable à la destruction du bien.

« Le bâtiment de l’horloge, on ne peut pas le garder, on ne peut pas mettre desappartements là-dedans, il y a des plafonds de quatre mètres de haut » , justifie Benoît Digeon auprès de Mediapart. Le maire se remémore avec nostalgie l’époque où lacaserne attirait à Montargis des centaines de familles.
« La fermeture, cela a été un désastre », déplore-t-il.

Si la ville a connu une baisse importante de sa population dans les années 1970 et 80,la démographie montargoise est toutefois stable (autour de 15 000 habitants) depuis les années 1990, selon les données de l’Insee. Au troisième trimestre 2021, le taux de chômage (10,6 %) du bassin d’emploi de Montargis est en revanche supérieur à la moyenne régionale (7,3 %) ou nationale (7,9 %),selon l’Insee.

« La résidence seniors [de Nexity], c’est 25 emplois, c’est de l’or pour une ville comme la notre », ajoute Benoît Digeon, en pestant contre l’avis de la CRPA de protéger ce patrimoine. « Les membres de la commission n’y connaissent rien du tout, ce sont des gens intolérants, qui ne devraient pas exister, c’est un État dans l’État » , s’agace-t-il.

Les désaccords sur l’avenir de la caserne sont pourtant moins une affaire d’« intolérance » que de vision politique. « Il y a 10 ou 15 ans, on aurait rasé la caserne pour reconstruire dessus sans état d’âme, mais les mentalités changent, cela devient socialement et politiquement inacceptable », estime-t-on au cabinet du ministère de la culture, où on se réjouit de ce changement de « doctrine », motivé par « des raisons tant écologiques que patrimoniales ».


Les mentalités évoluent, y compris au plus haut niveau de l’État, veut-on croire au ministère. Mais, dans cet intervalle, ajoute l’entourage de Roselyne Bachelot, « un certain nombre de promoteurs et d’élus n’ont pas complétement compris qu’on avait changé de monde ».

Choisir Nextiy, c’était justement l’assurance d’avoir des garanties, notamment en termes de conservation de l’identité architecturale du bâtiment.

Le président de l’agglomération en 2019


Le débat se situe aussi sur le terrain économique. Pour détruire la caserne et reconstruire, sur la même emprise que l’édifice actuel, sa résidence haut de gamme, Nexity est prêt à mettre 22 millions d’euros sur la table, une somme impossible à débourser pour les collectivités locales.


« Pour sauver le bâtiment de l’horloge, il faut 14 millions d’euros. Pour une petite ville comme la nôtre, c’est impossible, même avec 6 ou 7 millions d’euros d’aides de l’État »,appuie Benoît Digeon. Pour le maire, la situation est donc simple :« Si Nexity n’investit pas, on n’a pas de projet pour Gudin. »

Les élus ont-ils seulement chercher une alternative ? La question se pose d’autant plus que le concours d’architectes lancé en 2019 n’a servi à rien, l’agglomération ayant signé en parallèle avec Nexity.
« C’était pour faire rêver les gens » , reconnaît sans ambages Benoît Digeon. Un « rêve » à 180 000 euros d’argent public, tout de même. Et sans aucun résultat puisque les solutions proposées par les architectes n’ont pas été retenues, ni même explorées.« C’était pour animer le fait qu’on avait acheté la caserne » , complète l’édile, sans grande conviction.

Le montant de la transaction avec Nexity colle également mal avec les exigences économiques affichées par certains responsables politiques. Après avoir acheté la caserne 750 000 euros à l’État début 2019, l’agglomération a en effet signé une promesse de vente avec Nexity pour un euro symbolique, le 3 juin 2019.

Aux élus qui se sont étonnés à l’époque de cette vente rapide, en parallèle du concours d’architectes, et dans des conditions financières si avantageuses pour le promoteur, le président de l’agglomération de l’époque, Frank Supplisson (LR), a alors rétorqué que Nexity «[allait] montrer comment il conserve la façade, comment il conserve l’unité architecturale ». « La conservation de l’identité architecturale du site me paraît unélément clé » , appuie-t-il même en conseil d’agglomération.

Pour justifier la signature express avec le groupe immobilier, Frank Supplisson déclare aussi
que «choisir un tel promoteur, c’était justement l’assurance d’avoir des garanties, notamment en termes de conservation de l’identité architecturale du bâtiment ». Alors même que le projet porté par Nexity prévoit de détruire la caserne et que l’agglomération n’a pas introduit de clause de conservation dans la promesse de vente…

Mediapart révèle quelques mois plus tard, en mai 2020, que le président de l’agglomération est associé, dans ses affaires privées, à un ancien directeur (de 2016 à2017) de la branche « immobilier d’entreprise » de Nexity. Ce qui fait bondir les opposants au projet. « Je n’ai jamais entendu parler de la caserne Gudin »
, rétorque l’ancien directeur de Nexity à Mediapart. Également questionné sur le sujet, le promoteur n’a pour sa part pas répondu à nos sollicitations.

L’ancien président Frank Supplisson, qui a quitté la politique en 2020 après sa mise en cause dans
plusieurs enquêtes judiciaires en cours, n’a pas retourné notre demande d’entretien.

L’architecte mis en avant par l’agglomération… travaille avec Nexity


En octobre 2020, la mairie de Montargis accorde le permis de construire (valant permis de démolir) à Nexity, qui avait été déposé en décembre 2019. Une association locale l’attaque devant le tribunal administratif, mais le recours est rejeté, le tribunal estimant que l’association n’a pas d’intérêt à agir.

Du côté des élus, Benoît Digeon et Frank Supplisson ne sont pas les seuls à avoir évolué sur la nécessité de protéger la caserne. Le député Jean-Pierre Door (LR),désormais rangé du côté de Nexity (et donc de la démolition), ne déclarait-il pas aussi, dans la presse locale en 2009, que « cette place d’armes et ces bâtiments sont un patrimoine à conserver »?

Aujourd’hui, Jean-Pierre Door n’a pas de mot assez fort contre cette
«demande de protection historique initiée par des opposants politiques locaux avec la bénédiction de la Drac[direction régionale des affaires culturelles] … ». Le député rappelle que l’État a vendu la caserne à l’agglomération sans aucune « contrainte » quant à la préservation du site.
« Nous pourrons nous retourner en justice contre l’État » si le projet Nexity était finalement bloqué, menace-t-il.

Le successeur de Frank Supplisson à la tête de l’agglomération depuis 2020, Jean-Paul Billault, maire du petit village de Solterre, tient jusqu’à présent la même position. Le 30 novembre 2021, la collectivité qu’il préside a même attaqué devant le tribunal administratif la décision du ministère de la culture de protéger la caserne jusqu’en juillet 2022 dans l’attente qu’elle soit classée. Le recours s’appuie notamment sur deux attestations d’experts contestant la valeur patrimoniale de l’ensemble.

Le premier, présenté dans le recours comme un « enseignant de master du diplôme de conservation du patrimoine » , a signé un courrier, daté du 26 juillet 2021, avec un en-tête de l’UFR d’art et d’archéologie de l’université Paris-Sorbonne. Or, aujourd’hui à la retraite, il n’enseigne plus à la Sorbonne. Sollicités par Mediapart, l’enseignant à la retraite et la directrice de l’UFR ne nous ont pas répondu.

L’autre document joint au recours est une note d’un architecte, Alain Salin, qui « décrit parfaitement l’inadaptation des bâtiments pour y réaliser des logements », expliquent les avocats de l’agglomération dans leur requête. Étonnamment, les avocats ne mentionnent à aucun moment qu’Alain Salin a été mandaté… par Nexity sur le projet de la caserne.

« Sur le fait que le bâtiment [de l’horloge] n’est pas un bâtiment avec un caractère unique, particulier et remarquable, là il n’y a pas, de mon point de vue, de débat » ,estime l’architecte dans sa note, qui ne fait pas mention de son lien avec le promoteur qui prévoit de raser l’édifice. Auprès de Mediapart, Alain Salin explique que le document en question a été rédigé pour appuyer la demande de permis de construire de la résidence de Nexity, et qu’il ignorait qu’elle s’était retrouvée dans le recours de l’agglomération.

Sollicités, les avocats de l’agglomération expliquent que le ministère de la culture
« est parfaitement au courant » des liens entre l’architecte et Nexity et qu’il aura donc tout loisir d’en informer le tribunal administratif.

Sous la houlette de son président Alain Dinin, Nexity est devenu un « refuge doré » pour des anciens conseillers d’Emmanuel Macron

Bien au-delà de Montargis, de la caserne et des enjeux autour de sa conservation, le dossier de Gudin met aussi en exergue les risques liés à la modification des règles de mobilité dans la haute fonction publique, et l’augmentation des aller-retours, déjà nombreux, avec le secteur privé.

Le débauchage de Régine Engström chez Nexity en mars 2021 avait en effet consterné une partie de la préfectorale, voyant dans ce choix une nouvelle marque de défiance d’Emmanuel Macron à l’endroit de l’administration, comme l’avait raconté la Lettre A. Cette inquiétude d’une collusion entre intérêts privés et publics s’est renforcée avec l’annonce de la suppression des grands corps (préfets et préfètes, diplomates, inspecteurs et inspectrices…).

Nexity entretient lui-même cette porosité avec la haute administration. Avant de devenir préfète, Régine Engström avait rejoint le groupe immobilier en septembre2019 en provenance du ministère de la transition écologique et solidaire, dont elle était la secrétaire générale, après un long passage à la mairie de Paris. Chez Nexity, elle avait retrouvé Véronique Bédague, directrice générale déléguée, avec laquelle elle a notamment travaillé à l’état-major de la ville de Paris sous le second mandat de Bertrand Delanoë, avait signalé Acteurs publics.

Sous la houlette de son président Alain Dinin, le promoteur immobilier est aussi devenu un « refuge doré » pour conseillers ministériels, comme l’a raconté la Lettre A en juin 2021. C’est notamment le cas de Tristan Barrès, ancien « conseiller logement »d’Emmanuel Macron et Édouard Philippe de 2017 à 2020, qui a trouvé un point de chute, en octobre 2020, à la tête de Perl, filiale de Nexity ; de Francis Decoux, lui aussi ancien du cabinet Philippe, recruté comme « responsable des élus et partenaires locaux» chez Perl ; ou encore du conseiller d’État Fabrice Aubert, conseiller à l’Élysée de 2017 à avril 2019, date à laquelle il est devenu le secrétaire général de Nexity.


Antton Rouget
Si vous avez des informations à nous communiquer, vous pouvez nous contacter à l’adresse. Si vous souhaitez adresser des documents en passant par une plateforme hautement sécurisée, vous pouvez vous connecter au site. enquete@mediapart.fr frenchleaks.fr

Boîte noire


Sollicités par Mediapart, la préfète Régine Engström, la secrétaire générale pour les affaires régionales et le secrétaire général de la préfecture du Loiret nous ont répondu par le biais du service de communication de la préfecture.


Voici la réponse intégrale :


« Vous avez interrogé par mails du 24 janvier la Préfète, le secrétaire général de la préfecture(SG) du Loiret et la secrétaire générale pour les Aff aires régionales (SGAR) de la préfecture de la région Centre-Val de Loire au sujet du déport de la Préfète dans le suivi du dossier de réhabilitation de la friche de la caserne Gudin à Montargis. En réponse à vos questions, nous pouvons vous apporter les éléments suivants :

Le déport décidé par la Préfète sur ce dossier est un déport de précaution comme le veut la règle d’usage pour les fonctionnaires traitant de dossiers où l’un des intervenants de l’affaire pourrait avoir eu un lien avec ledit fonctionnaire dans un passé récent, de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice impartial, indépendant et objectif de ses fonctions. En effet, elle n’a pas eu à connaitre de ce dossier dans le cadre de ses fonctions chez Nexity et n’a aujourd’hui aucun lien de dépendance avec cet opérateur.

Ce déport a pour et de donner au SG et à la SGAR une liberté d’appréciation sur ce dossier, la Préfète s’interdisant de leur donner toute orientation ou consigne quant à son instruction. La SGAR sera notamment amenée, dans le délai d’un an imparti par la décision d’instance de classement de la ministre de la Culture de juillet 2021, à statuer, au regard des éléments techniques qui lui seront transmis par les services déconcentrés de l’État concernés, sur l’inscription de la caserne Gudin au titre des monuments historiques. »

Relancé sur mail envoyé au cabinet de Roselyne Bachelot, le service de communication nous a répondu ceci :
« Les remontées d’information des services de l’État vers les cabinets ministériels passent parles préfets. Expliquer un contexte local est une obligation et ne peut être assimilé à une prise de position. Le seul point de vue relayé dans le message évoqué d’octobre 2021 est celui des élus locaux . »

De nombreux médias reprennent cette actualité :

La tribune de l’art : Caserne Gudin : le préfet était bien à la manœuvre

Didier Rykner  lundi 31 janvier 2022 https://www.latribunedelart.com/caserne-gudin-le-prefet-etait-bien-a-la-manoeuvre

Mag Centre

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