“Dans ma voiture, en route vers la déchetterie : comment Montargis étouffe ses entrepreneurs”
Je me souviens exactement du jour où j’ai compris que quelque chose n’allait pas dans notre territoire.
J’étais au volant, un matin gris, prêt à signer pour installer ma jeune entreprise dans la pépinière de l’agglomération montargoise.
On m’avait donné rendez-vous devant l’église de Pannes — déjà, un signe.
Puis la personne en charge m’avait lancé cette phrase mémorable :
“On y va ensemble, sinon vous ne trouverez jamais. C’est vraiment paumé.”
Ils avaient raison.
Alors que je roulais, la route se faisait de plus en plus étroite, les aménagements de plus en plus dangereux, et les panneaux… de plus en plus clairs :
DECHETTERIE →
Pas “pépinière d’entreprises”.
Pas “pôle économique”.
Juste : déchetterie.
▬ Et soudain, j’ai revécu tout mon parcours.
Les stagiaires qui n’osaient pas venir.
La fibre mutualisée à 10 Mb, ridicule en 2024.
Le loyer identique à celui du centre-ville.
Les 17 minutes de trajet aller — les 17 minutes retour.
L’heure perdue chaque jour.
L’absence de restauration, de transports, de réseau, d’événements.
Et toujours cette adresse impossible à assumer :
“Pépinière d’entreprises – Enceinte de la déchetterie – Commune de Pannes.”
Racontez ça à un client.
À un investisseur.
À un futur salarié.
À vos enfants.
C’était l’anti-écosystème parfait.
Ce que j’ai vu ailleurs : MAME, LAB’O, DevUP… et le fossé avec Montargis
À Tours, j’avais visité le MAME.
Ancienne imprimerie transformée en cathédrale de lumière pour startups, fablabs, studios, incubateurs.
Des centaines d’entrepreneurs, designers, chercheurs qui se croisent, se parlent, créent.
Un lieu vivant, pensé, animé.
À Orléans, le LAB’O surplombe la Loire :
open-spaces, conférences, soirées, mentors, investisseurs qui passent, coworking, ateliers.
Un vrai hub numérique.
Une communauté.
Et pour relier tout ça, dans toute la région : DevUP Centre Val de Loire, l’agence de développement économique.
Partout, ils ont des permanents.
Partout… sauf chez nous.
Aucun bureau, aucune présence locale, aucun suivi.
Pour obtenir de l’aide, il faut monter à Orléans.
Encore une fois, Montargis n’existe pas.
Le contraste est violent.
Je roule, et je réalise : c’est pour ça que j’ai fini par m’engager.
Créer une entreprise à Montargis, c’est se battre contre :
- le temps perdu,
- l’isolement,
- l’absence de réseau,
- la difficulté pour recruter,
- l’image désastreuse,
- la politique municipale incohérente.
Tout est obstacle.
Tout freine.
Tout dissuade.
Dans d’autres territoires, entreprendre est un élan.
Ici, c’est un parcours du combattant.
Et c’est là, sur cette route menant à la déchetterie, que je me suis dit :
“Si même moi, entrepreneur motivé, j’en bave autant… alors combien renoncent avant de commencer ?”
Ce que je veux changer
Je rêve d’un centre-ville vivant, rempli de pop-up stores, de boutiques tests, d’ateliers temporaires, d’un véritable lieu pour DevUP, d’un espace de coworking accueillant, d’événements réguliers, d’un réseau fort où chacun se connaît, où les étudiants peuvent trouver un stage sans se perdre entre les camions-bennes.
Un territoire où l’on ne range plus les entrepreneurs… à côté des déchets.
Un territoire où entreprendre devient normal, fluide, possible.
Conclusion : la route est longue, mais elle peut changer
Quand je suis enfin arrivé devant la pépinière — 17 minutes après être parti — j’ai coupé le moteur.
Autour de moi : les tas de cendres, les avions de mouche, la police intercommunale, les bennes.
Silence complet.
J’ai regardé le bâtiment.
J’ai pensé aux vingt années sans résultats, sans pépites, sans vision.
J’ai pensé à tous ceux qui essaient malgré tout.
Et j’ai compris qu’un territoire peut détruire ou révéler ses talents.
Aujourd’hui, si je m’engage, c’est pour qu’un entrepreneur n’ait plus jamais à suivre des panneaux “Déchetterie” pour aller construire l’avenir.